D’un service public à un service administratif en commun : pour une nouvelle approche du service public

Dans un précédent article, nous avons vu comment le domaine public pouvait faire l’objet d’une mise en commun et être partagé en ressource par les citoyens et l’administration. Mais plus encore, les usagers du service public sont aujourd’hui amener à contribuer directement à l’exécution du service, dans une nouvelle forme de collaboration, qui n’est plus occasionnelle, mais qui repose exclusivement sur leur contribution, plus ou moins consentie.

L’administration n’offre plus une prestation de service, mais devient une interface où les usagers s’échangent entre-eux des services et des avantages, sans pour autant se rendre compte de leur statut de « quasi-agent public ». Leur contribution devient alors l’élément de base de l’activité du service public. Ce mouvement de participation directe des usagers est également à mettre en perspective de la démocratie participative qui connaît un renouveau et implique le citoyen dans la direction du service. Ce repositionnement de la place de l’usager heurte cependant la conception classique de l’administration des collectivités territoriales et pourrait en partie l’inflation législative en matière de décentralisation de la dernière décennie, et plus encore révélerait la crise profonde la démocratie locale.

Le service public n’est plus tout à fait une prestation d’intérêt général, au sens de son universalité dans la prestation, mais devient un service administratif en commun, où les usagers contribuent eux-mêmes à direction et à la satisfaction du besoin. Ce service devenant une ressources à partager entre pairs et à conserver, il entre dans la définition des Communs posée par Elinor Ostrum.

I. La participation directe des usagers la gestion du service public

Depuis 1945, les services publics n’ignorent pas la participation des usagers à leur administration. Cependant, désormais, dans le cadre d’un service administratif en commun, les usagers deviennent les principaux contributeurs de la mission d’intérêt général. Il ne s’agit plus seulement de participer à la définition des grandes orientations du service, mais bien plus de participer à sa réalisation directe. Si, d’une certaine manière on peut considérer qu’un titulaire de permis de végétaliser soit un contributeur du service public dans son action de conservation du domaine public ; cette contribution n’est qu’une conséquence de son utilisation privative. Ici, au contraire, l’usager s’engage davantage à contribuer au service instauré par l’administration et l’intérêt qu’il en tire est la conséquence de son investissement.

Ainsi, il existe un véritable enjeu pour les collectivités territoriales à voir leurs missions d’intérêt général plus participatives par l’association directe du public à leur réalisation.

La mise en commun d’un bien ou d’un service par les particuliers n’est pas sans incidence sur la réalisation d’un service public. Par exemple, si l’uberisation des transports touche au premier rang le secteur marchand, il n’est pas sans avoir une réelle incidence sur l’évolution du service public des transports.

a) Le risque de qualification de l’usager en collaborateur occasionnel du service public :  l’exemple du service public de la mobilité

Dans cette hypothèse de collaboration des usagers à l’exécution du service public, il ne s’agit plus pour les autorités organisatrices de la mobilité d’offrir, un service d’auto-partage, comme autolib’, nécessitant une infrastructure lourde en terme de moyens financiers et le passage de conventions entre les collectivités gestionnaires de la voie par exemple ; mais, depuis la loi n°2014-58 du 27 janvier 2014 de modernisation de l’action publique territoriale et d’affirmation des métropoles, d’offrir un service en commun de covoiturage.

L’article L1231-15 du code des transports dispose à cet effet que « le covoiturage est l’utilisation en commun d’un véhicule terrestre à moteur par un conducteur non professionnel et un ou plusieurs passagers majeurs pour un trajet commun. En cas d’inexistence, d’insuffisance ou d’inadaptation de l’offre privée, les autorités mentionnées à l’article L.1231-1, seules ou conjointement avec d’autres collectivités territoriales ou groupements de collectivités intéressés, peuvent mettre à disposition du public des plates-formes dématérialisées facilitant la rencontre des offres et demandes de covoiturage. Elles peuvent créer un signe distinctif des véhicules utilisés dans le cadre d’un covoiturage. Dans ce cas, elles définissent au préalable ses conditions d’attribution. »

Cette définition légale permet d’englober deux types de situations où l’usager est le principal acteur du service. Dans un premier temps, l’option d’une plate-forme numérique est privilégiée par le Législateur lui-même. Elle permet comme pour la commune des Molières (Essonne) de résoudre à moindre frais le problème des embouteillages pendulaires et de l’auto-solisme amenant une part non négligeable de sa population à emprunter son véhicule personnel pour se rendre à la gare distante de 5 kilomètres. En concluant un marché public avec la société KAROS, la commune a incité les automobilistes à partager leur trajet pour se rendre de leur domicile au travail. Cette solution nécessite bien sûr une application numérique et une mise en relation via l’Internet.

Plus simple encore, les collectivités peuvent organiser la participation des usagers de la route sans application particulière en instituant un service public d’autostop, comme c’est le cas par exemple du service « Rézo-pouce » mis en place par des collectivités sous forme de société coopérative d’intérêt collectif. Pour pallier la carence des dessertes de certains réseaux de transport inter-urbain en zone rurale, les collectivités ont désigné des « arrêts pouces » identifiés sur une route pour permettre aux signataires d’une charte de pouvoir prendre en charge les auto-stoppeurs qui s’y trouvent.

Outre le service de transport, on peut citer également pour mémoire le service public de collecte des ordures ménagères, qui depuis plusieurs années déjà, demande aux usagers de contribuer au service par les opérations de tri de leurs déchets, voire même de les transporter pour les déposer au sein des déchetteries.

b) Les incidences directes de la collaboration des usagers à la réalisation de la mission de service public

La contribution des usagers au fonctionnement d’une mission d’intérêt général prise en charge par une personne publique, n’est pas sans incidence en cas d’accident en cours de réalisation. A titre de rappel, la juridiction administrative retiendra la qualification de collaborateur occasionnel du service public dans le cadre d’un recours indemnitaire d’une personne qui a participé à l’exécution d’une mission d’intérêt général. Le Conseil d’État a d’ailleurs récemment rappelé, le 13 janvier 2017, que ce régime exceptionnel permet cependant à un citoyen contributeur de pouvoir bénéficier de la protection fonctionnelle dès lors que ses actes ne sont pas constitutifs d’une faute personnelle. CE, 13 janvier 2017, req. N°386799.

Suivant la décision du Conseil d’Etat du 13 janvier 2017, il est envisageable de voir dans les années à venir qu’un assureur d’un automobiliste ayant pris en charge un auto-stoppeur ou un covoituré et ayant subi un accident de la circulation, sans que le conducteur ne soit en tort, puisse se retourner contre l’assureur de la collectivité ayant institué le service public en action récursoire.

Pour terminer avec l’exemple du covoiturage, n’oublions pas que ce service peut disposer de certains avantages en matière de voirie, comme des places de stationnement ou encore permettant aux usagers conducteurs d’emprunter des couloir de transport en commun. Il est même étonnant de voir l’article L1231-15 du code des transport poser le principe de l’existence d’une carence de l’initiative privée pour instituer un service de covoiturage, mais qu’en matière de police de la circulation, l’existence d’un couloir de transport en commun accessible au covoiturage n’est sujet à aucun carence et contribue ainsi à mettre directement en concurrence économique les plate-formes de covoiturage privées avec les compagnies de taxi et les compagnies de transport en commun. L’autorité domaniale devrait mettre en concurrence l’ensemble de ces opérateurs avant de leur octroyer une permission de voirie, selon la nouvelle ordonnance du 27 avril 2017.

Toutefois, une autre incidence contentieuse risque de se produire lorsque les collectivités publiques mettront massivement en ligne, à la portée de toute captation privative, les données publiques produites principalement par les usagers.

c) Le risque d’atteinte à la vie privée d’une collaboration involontaire à la réalisation du service : le service public de la donnée

Bien qu’il semble difficile de pouvoir à ce jour entrer dans le détail, tant la forme de la collaboration est sujette à polémique pour les défenseurs des libertés publiques, une autre forme de collaboration au service public peut être à rappeler ici. Il s’agit du traitement automatisé des données personnelles des usagers du service public. La loi Lemaire pour une République numérique du 7 octobre 2017, oblige désormais les administrations à mettre en ligne les informations publiques qu’elles ont collectées sous un format réutilisable. Or, elle oblige aussi à ce que les informations dont la communication porterait atteinte à la protection de la vie privée, au secret médical et au secret en matière commerciale et industrielle ne soient communiquées qu’aux seuls intéressés (article L311-6 du code des  relations entre le public et l’administration). Cette obligation de maintenir la confidentialité des données à caractère personnel sera d’autant plus importante lors de l’entrée en vigueur du règlement européen de protection des données éponyme au printemps 2018. La frontière entre le big data et les données personnelles sera sans doute un vrai sujet complexe : les personnes responsables de l’accès aux documents administratifs et de la réutilisation de la donnée et la Commission de l’accès aux documents administratifs (CADA), sous la cassation du Conseil d’État, devront établir une ligne de crête pour garantir leur mission d’intérêt général tout en assurant l’exercice libre et secret de la vie privée.

II. La nécessité de repenser la participation à la direction des services publics

Le mouvement tendant vers une meilleure implication des usagers dans l’exercice des missions de service public ne peut qu’obliger le Législateur à entreprendre une modernisation de la participation des usagers à la direction des services publics.

Cependant, le Parlement ne semble pas évaluer la politique publique de participation à cette gouvernance des services publics de manière homogène.

Nous le verrons ici, le service public à la Française est d’abord et avant tout considéré comme une mission d’administration publique dont les décideurs sont à titre principal, sinon exclusif, les représentants élus des citoyens administrés. Cependant, bien que les modes d’implication et de participation des usagers à l’administration directe des services publics est posée depuis longtemps, il semble difficile pour le Législateur de trouver un point d’équilibre général et central permettant d’avoir une vision claire du mode de participation du public aux décisions de l’administration.

a) La limitation de la participation citoyenne

Les pouvoirs publics ont le plus souvent une vision sectorielle de la prestation d’intérêt général concernée, au point que les usagers ne soient considérés que comme des « usagers catégoriels ». Ainsi, les usagers des transports publics ne peuvent participer à la concertation sur la politique que s’ils sont membres d’une association d’usagers ou d’un comité de ligne. S’agissant de la participation des usagers à l’administration générale des collectivités territoriales, le Législateur semble adopter cette même vision catégorielle des citoyens.

En plus des enquêtes publiques en matière d’environnement ou d’urbanisme, le nouveau code des relations entre le public et l’administration prévoit lui aussi un titre III dans son livre premier intitulé justement « l’association du public aux décisions de l’administration ». Cette disposition d’application générale, est cependant soumise à une décision préalable de l’administration qui conserve la main sur l’opportunité d’ouvrir la participation du public à la future décision qu’elle va prendre (Article L131-1 du code des relations entre le public et l’administration : Lorsque l’administration décide, en dehors des cas régis par des dispositions législatives ou réglementaires, d’associer le public à la conception d’une réforme ou à l’élaboration d’un projet ou d’un acte, elle rend publiques les modalités de cette procédure, met à disposition des personnes concernées les informations utiles, leur assure un délai raisonnable pour y participer et veille à ce que les résultats ou les suites envisagées soient, au moment approprié, rendus publics).

L’association du public aux décisions de l’administration n’est donc pas une obligation pour les collectivités publiques. Ce n’est qu’une faculté. Elle peut prendre plusieurs formes définies par le code des relations entre le public et l’administration, mais à chaque fois, elle dépend de la volonté de la collectivité. Elle peut être une consultation ouverte sur internet, ou encore une commission consultative, une enquête publique ou une participation à un scrutin décisionnaire ou consultatif. C’est sous cette forme de participation par exemple que les communes de Grenoble ou de Paris ont mis en place des politiques de budgets participatifs, permettant aux citoyens de se prononcer sur le financement des politiques publiques la commune.

Malheureusement, en matière décisions des collectivités territoriales, le Législateur n’a pas réussi à donner une bonne visibilité à l’ensemble des dispositifs existants, notamment en matière de modernisation de la démocratie communale et infra-communale.

b) Une démocratie communale en profonde crise de participation directe des citoyens

La dernière législature a vécu un nombre important de lois portant sur la réorganisation des collectivités territoriales. Ainsi, le Législateur a démultiplié le nombre d’instances infra-communales disposant de prérogatives particulières qui a également brouillé le plus souvent la lecture d’une meilleure participation des citoyens aux décisions locales.

Outre les participations ponctuelles, que sont les budgets participatifs ou les consultations sous la forme de scrutin, les institutions permanentes de démocratie infra-communales sont de deux ordres. Soit il ne s’agit que d’une institution fédérée d’une commune, en ce cas elle dispose d’une assemblée délibérante élue (Conseil d’arrondissements, Conseil municipal délégué d’une commune nouvelle par exemple) ; soit il ne s’agit que d’une institution propre disposant de certaines prérogatives plus ou moins contraignantes et en ce cas l’institution dispose d’une assemblée représentant les citoyens sans recourir forcément à l’élection pour les désigner.

S’agissant de cette dernière catégorie, issue du mouvement de la démocratie participative, on ne peut s’empêcher de faire une distinction entre les instances aux compétences librement définies par les communes et celles définies par la loi. Si les premières, communément regroupées sous le terme de « Conseils de quartier » ne doivent être constituées que pour les communes de 80.000 habitants et plus, elles peuvent disposer d’un contenu librement défini par le conseil municipal. Leurs compétences sont essentiellement consultatives et en font une instance d’échange entre les élus et les citoyens.

Au contraire, les secondes, donnent des compétences contraignantes aux citoyens membres des assemblées. Ainsi, les sections de commune ou les conseils citoyens peuvent tous deux saisir le représentant de l’État pour défendre leurs intérêts.

Toutefois, le Conseil citoyen est une mesure récente, dans le cadre de la politique de la ville, issue de la loi de programmation pour la ville et la cohésion urbaine de 2014 et renforcé par la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017 relative à l’égalité et à la citoyenneté, et ne donne des droits qu’aux fins d’assurer le suivi des contrats de ville. Il s’agit en définitive d’une mesure efficace pour la participation directe des citoyens à la décision publique, mais qui reste dans un champ d’application étroit, celui de la politique de la ville.

Or, il semble paradoxale que pendant la même législature, à moins d’un an d’intervalle, la Parlement adopte une loi renforçant les prérogatives des citoyens à l’encontre des pouvoirs publics élus et supprime une des rares possibilité pour ces citoyens de constituer une personne morale de droit public capable de s’opposer à l’administration.

Le destin des sections de communes, prévues par les dispositions des articles L2411-1 et suivants du code général des collectivités territoriales, disposant d’une administration propre, dont les services communaux sont à sa disposition, est l’exemple de l’incohérence du Législateur en la matière. Les ayants-droits, les riverains d’un terrain rural mis en commun par eux-mêmes,  décident eux-mêmes de la politique à suivre en matière d’administration de la section sans passer par les décisions du conseil municipal, ce dernier ne disposant que de prérogatives en cas de carence de la section.

Tandis que le Législateur octroyait d’immenses prérogatives directement aux citoyens dans la gestion d’une personne publique, plus encore que dans le Conseil citoyen ; il n’est plus possible pour des habitants de fonder une section de commune et d’organiser différemment l’administration de leurs biens communs depuis l’entrée en vigueur de la loi n° 2013-428 du 27 mai 2013 modernisant le régime des sections de commune.

Le Législateur de 2014 a refusé de s’inspirer de la loi de 2013 en consacrant la personnalité juridique au Conseil citoyen, pourtant véritable section de commune « urbaine » en devenir et s’est ainsi refusé de donner une voie médiane et unique pour l’administration infra-communale de biens ou de services administratifs commun gérés directement par les citoyens.

Or, l’avenir de la participation citoyenne à la direction du service public ne peut pas se contenter du cadre extrêmement étroit qu’offrent les lois catégorielles en vigueur. La vision en silo de la participation est malheureusement devenu anachronique au regard des attentes des usagers. La construction d’un droit administratif des biens commun et d’un service administratif en commun démontrent, au contraire de la lutte pour leur survie au regard de l’appropriation privative, que les Communs irriguent le renouveau du droit public et profilent l’émergence d’une nouvelle discipline juridique avec ses règles propres.

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